À la suite de la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union Européenne et après des mois de négociations acharnées, l’UE et le Royaume-Uni se sont mis d’accord sur les termes d’un Accord de Commerce et de Coopération (ACC) post-Brexit, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021.
L’accord compte 1449 pages, dont 26 concernent l’aviation, et pose les jalons du contexte opérationnel ainsi que les droits de chacun : des passagers, au fret en passant par les compagnies charter britanniques et européennes. Cet accord est la réponse tant attendue aux préoccupations du secteur concernant l’impact réel du Brexit sur le secteur déjà très fragilisé du transport aérien.
Droits commerciaux et droits de trafic
Les droits de survol et de vol à destination et en provenance du territoire de l’autre partie, c’est-à-dire la première, deuxième, troisième et quatrième liberté, sont préservés pour tous les transporteurs de l’UE et du Royaume-Uni, les compagnies aériennes régulières et non régulières, les exploitants de jets privés ou d’hélicoptères.
Par exemple : Une compagnie britannique (avions de ligne ou jet d’affaires) a le droit d’exploiter des services réguliers de Manchester à Varsovie, de transporter des passagers payants dans les deux sens et survoler les Pays-Bas et l’Allemagne en cours de route.
Les flux cargo bénéficient de plus de souplesse puisque le principe d’une cinquième liberté est accordé. Toutefois, cette liberté doit reposer sur un accord bilatéral convenue de manière équitable et réciproque par le Royaume-Uni et un État membre.
Par exemple : Sous réserves d’un accord de trafic bilatéral passé entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas, un avion-cargo exploité par une compagnie britannique pourra transporter du fret entre les Pays-Bas et la Grèce au cours d’un vol qui est en continuation d’un vol depuis un aéroport britannique.
Les opérateurs du Royaume-Uni et de l’Union seront considérés comme des opérateurs de pays tiers dans l’espace aérien de l’autre, par conséquent les libertés accordées lorsque le Royaume Uni était encore membre de l’UE (y compris les droits de cabotage domestique) ne sont plus d’actualité.
Enfin, l’accord ouvre la porte à des vols charter ad hoc qui au lieu d’être complètement proscrits peuvent être exploités avec une certaine souplesse, sous réserve d’autorisations préalables des autorités d’aviation des pays concernés.
A ce jour, il a toutefois été observé qu’au cours du mois de janvier 2021, les demandes dérogatoires, principalement par des exploitants de jets privés, ont rarement été satisfaites. A l’origine de ce phénomène, sans doute identifierons nous bientôt une volonté des compagnies aériennes locales de faire jouer leur véto, sous la forme de « non-objection ».
Par exemple : Un jet d’affaires battant pavillon irlandais et souhaitant effectuer une mission de rapatriement sanitaire entre Glasgow et Cardiff doit faire une demande auprès de la CAA britannique pour obtenir les autorisations nécessaires pour réaliser ce vol charter ponctuel.
Les mêmes conditions s’appliquent à une compagnie aérienne britannique exploitant une chaîne charter pour le compte d’une agence de voyages entre Stockholm, Suède et Ibiza, Espagne.
» A ce jour, il a toutefois été observé qu’au cours du mois de janvier 2021, les demandes dérogatoires, principalement par des exploitants de jets privés, ont rarement été satisfaites »
Propriété et contrôle des transporteurs aériens
Pour obtenir les droits de trafic entre le Royaume-Uni et l’UE, les compagnies aériennes de chaque partie doivent être détenues et effectivement contrôlées par des ressortissants de l’UK ou des ressortissants d’un ou plusieurs pays de l’UE. Elles doivent avoir leur principal établissement sur leur propre territoire et doivent être titulaires d’un CTA (Certificat de Transporteur Aérien) délivré par l’autorité compétente de leur propre juridiction.
Les compagnies aériennes britanniques qui détenaient une licence d’exploitation valide au 31/12/20 sont toujours considérées comme des compagnies aériennes britanniques même si elles sont détenues et effectivement contrôlées par des ressortissants de l’UE (ou de l’Espace économique européen ou de la Suisse) ou par une combinaison de ressortissants de l’UE et du Royaume-Uni. Toutefois, cela ne s’applique plus aux transporteurs britanniques qui obtiendraient leur licence d’exploitation à partir du 01/01/2021.
Cette question de la propriété et du contrôle était essentielle pour certaines compagnies aériennes comme British Airways. Sans ces dispositions, le transporteur anglais qui est une filiale du groupe IAG, société holding de droit espagnol dont le siège social est en Espagne, aurait pu perdre son statut de compagnie aérienne britannique avec toutes les conséquences que cela implique.
A contrario, Ryanair a dû démontrer que ses structures de propriété et de contrôle étaient bien communautaires afin de conserver son statut de transporteur européen. Pour continuer à exploiter des liaisons intra-britanniques, la compagnie a été contrainte de créer une société sœur britannique, nonobstant les différences significatives en termes de propriété et de contrôle que cela implique.
L’accord stipule en guise de conclusion que les deux parties reconnaissent les avantages d’un allègement des règles en termes de propriété et contrôle et elles ont convenu d’évaluer les options de libéralisation coordonnée dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord.
Partage de codes, changement de gabarit et coterminalisation
L’accord permet aux transporteurs aériens d’agir en tant que transporteur commercial sur des liaisons pour lesquelles ils n’ont pas les droits de trafic, grâce à des accords de “Partage de codes”.
Par exemple : Pour rappel, la totale interdiction des vols de cabotage intracommunautaire interdit à un transporteur britannique d’exploiter des vols entre Francfort et Berlin. Toutefois, le transporteur britannique peut partager des codes avec un transporteur aérien de l’UE assurant cette route, transporteur aérien effectif, en commercialisant des billets sur la route susmentionnée en tant que transporteur commercial.
L’accord permet aux transporteurs de transférer le trafic en tout point entre différents avions exploités par le même transporteur aérien (« Changement de gabarit »).
Par exemple : Un transporteur aérien britannique exploite un avion de grande capacité entre Londres et Amsterdam. Il débarque les passagers à Amsterdam et transfère les passagers en continuation vers Luxembourg sur un avion plus petit lui appartenant. En revanche, cette même compagnie britannique n’a pas le droit de commercialiser de billets entre Amsterdam et Luxembourg.
Enfin, l’accord permet un service unique en provenance du pays du transporteur de desservir plusieurs points au Royaume-Uni ou dans l’UE sans avoir le droit de charger des passagers supplémentaires (« Coterminalisation »).
Par exemple : Un transporteur portugais pourrait exploiter des services réguliers de Lisbonne à Manchester via Londres sans pouvoir commercialiser des billets Londres / Manchester.
Location d’avions
En ce qui concerne le dry-lease (le propriétaire de l’avion fournit l’avion coque-nue, c’est-à-dire sans équipage, ni entretien, ni assurance), les transporteurs aériens britanniques et européens peuvent utiliser un avion loué auprès de n’importe quelle compagnie et même en dehors de l’Europe. Il est en effet de leur responsabilité de mettre l’avion en œuvre selon la réglementation qui leur est applicable.
Les transporteurs britanniques sont autorisés à louer un aéronef avec équipage (conformément à un accord wet-lease ou ACMI, l’aéronef est fourni avec son équipage, son entretien et une couverture d’assurance adaptée) auprès de n’importe quel transporteur aérien britannique ou européen. En revanche, les transporteurs de l’UE ne peuvent se fournir qu’auprès d’un autre transporteur aérien de l’UE. D’autres accords ne sont autorisés que dans des circonstances exceptionnelles, telles que la capacité saisonnière ou des difficultés opérationnelles et pour une durée limitée.
Par exemple : Un transporteur belge doit faire face à un pic d’activité pendant l’été et prend en location « ACMI » un avion supplémentaire mis en œuvre par un transporteur grecque.
Mécanismes de protection de la concurrence
Le Royaume-Uni et l’UE s’engagent à éliminer, dans leurs juridictions respectives, toutes les formes de discrimination qui porteraient atteinte à des biais de concurrence entre les transporteurs aériens. Lorsque le Royaume-Uni ou l’UE considère que les opportunités justes et égales de ses transporteurs aériens de se faire concurrence sont biaisées par des comportements discriminatoires, il existe un mécanisme d’arbitrage et mesures de rétorsion.
Les droits des passagers après le Brexit
Le Royaume-Uni et l’UE partagent l’objectif d’atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs.
Le Royaume-Uni a transposé la formulation du Règlement (CE) 261/2004 dans le droit britannique. Même si les passagers au départ du Royaume-Uni ne sont plus couverts par les dispositions du Règlement 261/2004, ils sont ainsi protégés par des dispositions réglementaires britanniques similaires.
L’accord stipule que des mesures non discriminatoires sont prises pour protéger les intérêts des consommateurs dans le transport aérien. Ces mesures doivent comprendre un accès adéquat à l’information, une assistance, notamment pour les personnes handicapées et à mobilité réduite, le remboursement et, le cas échéant, l’indemnisation en cas de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard supérieur à 5 heures, ainsi que les procédures efficaces de traitement des réclamations.
L’UE et le Royaume-Uni se consulteront sur toute question liée à la protection des consommateurs, y compris les mesures envisagées à cet égard.
Normes de certification et d’exploitation des aéronefs
Le Royaume-Uni devient un pays tiers. Toutes les normes, et notamment celles de certification et d’exploitation des aéronefs de l’AESA (Agence Européenne pour la Sécurité Aérienne) et celles de l’Aviation Civile du Royaume-Uni ne doivent pas diverger et une reconnaissance réciproque a été convenue. Cette réciprocité est cruciale pour, par exemple, reconnaître partout en Europe des licences des personnels spécialisés (pilotes et mécaniciens) dont la délivrance a eu lieu au préalable du Brexit, selon des standards identiques. Cela laisse le choix à ces personnes de continuer l’exercice de leurs activités professionnelles là où ils sont actuellement employés.
En synthèse…
L’ACC apporte avant tout des réponses et fournit un cadre aux compagnies aériennes pour leur développement. Il est finalement plus généreux que les mesures d’urgence rédigées en préparation d’un éventuel scénario d’absence d’accord. Il apaise également toutes les compagnies aériennes (des majors aux exploitants de jet d’affaires) qui pouvaient s’attendre qu’un no-deal suspende du jour au lendemain l’intégralité des liaisons aériennes.
Néanmoins, l’Accord entré en vigueur le 1er janvier dernier démontre à quel point les liens entre l’Union Européenne et le Royaume Uni sont bel-et-bien bien rompus. Alors qu’il y a peu, il était fréquent de voler à l’intérieur de l’Allemagne, de la France et même de la Grèce sur des avions battant pavillon britannique, les transporteurs anglais (au sens défini par l’Accord) sont désormais remisés au rang de TCO (Third Country Operator), au même titre que les compagnies américaines ou africaines.
Dans un contexte où le transport aérien traverse la pire crise de son histoire, au sein d’une Europe divisée, il faut saluer que cet accord ouvre des portes et plante les bases d’une progressive libéralisation du marché entre l’UE et le Royaume-Uni dont le consommateur sera, à terme, le grand bénéficiaire.